Justice : mort sur ordonnances ?
Le projet de loi de programmation a enfin été transmis aux professionnels de la justice le 9 mars. Sa transmission au Conseil d’Etat a été fixée au 15 mars.
Le projet de texte confirme les orientations que nous avons dénoncées dès nos premières auditions par les rapporteurs des chantiers. Il signe non seulement la suppression des 307 tribunaux d’instance mais aussi la disparition du juge d’instance qui est le juge de proximité par excellence. Sous l’intitulé hypocrite de « chambre dénommée tribunal d’instance », les sites des actuels tribunaux d’instance seront tous – pour le moment – maintenus en activité mais la spécificité de la justice de proximité disparaîtra. Les contentieux seront fondus dans la masse du tribunal de grande instance, de même que les personnels qui seront voués à se déplacer entre les différents sites.
Nous dénonçons le mépris affiché vis-à-vis des 22 000 fonctionnaires des juridictions. La justice de proximité regroupe, dans un ensemble actuellement cohérent, les expulsions locatives, les tutelles, les crédits à la consommation… Elle est essentiellement consacrée aux personnes les plus fragilisées et justifie une spécialisation de ceux qui la traitent. Sous couvert de réforme « partant du terrain », la répartition des contentieux sera rendue illisible et inégalitaire sur le territoire national puisqu’elle sera variable selon les départements. Le projet marque également une déshumanisation de la justice avec une nouvelle régression des droits de la défense et des libertés publiques en matière pénale et une véritable privatisation de la justice civile.
Enfin, de très nombreuses dispositions relèvent de décrets et le gouvernement sollicite une large habilitation à légiférer par ordonnance, donc sans débat parlementaire, comme cela semble devenir l’habitude, et sans que les objectifs exacts soient définis. Les inquiétudes demeurent donc sur les réformes à venir, pour n’en citer que quelques-unes : – le devenir des juges d’instruction dont la fonction est à nouveau menacée, – les compétences des juges de l’application des peines dont la suppression est déjà prévue dans certaines juridictions, au détriment des justiciables pour lesquels un suivi de proximité est indispensable, – les dispositions visant à privatiser le traitement du contentieux civil, en réduisant le rôle du juge et la place de l’audience, – l’absence de l’avocat dans la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Nous refusons la mort programmée de la justice sur ordonnances. En conséquence, nous appelons à une mobilisation nationale le 30 mars, avec renvoi de l’ensemble des audiences, réunion d’assemblées générales extraordinaires au sein des juridictions et manifestations.
C’est pourquoi le barreau de Marseille a pris la décision de maintenir une mobilisation aux côtés des instances nationales par un appel au blocage des juridictions mercredi 21 mars 2018. Les désignations ordinales seront annulées. Nous restons vigilants sur les débats parlementaires à venir.