Droit des femmes dites vous?

Soeurs Volées d’Emmanuelle Walter. Enquête sur un féminicide au Canada. Lux Editeur. 2014.

Un Wounded Knee féminin.

Maisy Odjick et Shannon Alexander sont portées disparues depuis 2008. La dernière fois qu’elles ont été vues, c’est dans le logement social occupé par Shannon à Maniwaki. Cent quarante kms au nord d’Ottawa. Depuis plus aucune nouvelle. Adolescentes, elles sont comme les mille deux cent amérindiennes portées disparues ou assassinées depuis 1980. Le Premier Ministre du Canada estime que ce n’est pas un phénomène sociologique dans ce grand pays du consensus. Emmanuelle Walter va mener l’enquête pour comprendre pourquoi autant de femmes subissent ces meurtres et disparitions : « Voici l’angle mort d’un pays prospère, le Canada. »

Sur la route du Sud, au large d’Ottawa un immense panneau cueille le regard : c’est un avis de recherche pour les deux jeunes filles. Portées disparues, elles n’étaient pas sans histoire mais avec des difficultés comme bien des adolescentes de leur âge. Les amérindiennes portent les stigmates de familles en souffrance. Leur affaire serait enterrée si des proches ne s’étaient pas décidées à remuer ciel et terre pour les retrouver. La police canadienne a été en dessous de tout. Ces faits ne sont pas isolés et se recoupent avec des centaines d’autres histoires.
A charge, en 1992, trois femmes prostituées de Saskatoon sont assassinées par un tueur en série. L’affaire ne fait pas grand bruit. Emmanuelle Walter me le doigt sur une donnée fondamentale : Les éditorialistes des journaux considéraient qu’une prostituée vivait dans le chaos, et n’avait donc plus de relations familiales. Ne plus avoir de relation familiale fait de vous une personne hors de l’humanité. Alors il n’est plus nécessaire de s’occuper de vous. Pour les deux adolescentes, c’est à peu prés ce qui s’est passé. Pour des milliers d’autres aussi. Voilà pourquoi Emmanuelle Walter appelle ça un féminicide, terme qui peut paraître énorme de prime abord mais qui prend toute sa force au fil des pages qui conte la longue agonie d’une nation défaite.
Colonisées, les femmes l’ont été deux fois. Les réserves indiennes étant devenues les banlieues du continent nord, il est plus difficile d’en sortir que d’y entrer. La prostitution y est monnaie courante, jusque dans les familles. C’est dire la condition misérable des autochtones au Canada. Le crack a ajouté son grain de sel à la dépendance dans ce pays où la majorité de la prostitution est supportée par ces femmes. Comme dans la conscience canadienne, c’est une chose admise, il semble logique que les enquêtes de police soint moins zélées que pour les femmes blanches. La police est nettement plus active quand des Mohawks protestent comme à 1990 à Oka et déterrent la hache de guerre contre un projet immobilier pris sur leurs terres. Lors de cette crise le caporal Lemay est abattu par les guerriers indiens. Sa sœur a découvert l’histoire des Mohawks en cherchant à retrouver l’auteur de la mort de son frère. C’est dire le fossé entre Canadiens et Amérindiens.

Emmanuelle Walter met le doigt sur une autre raison : Si la violence reconduit la violence, outre la destruction de la culture indienne, les pensionnats furent un lieu de « destruction familiale et d’aliénation identitaire. » Nombreux furent les témoignages à la Commission Vérité et Reconciliation qui racontèrent les viols quotidiens que subirent les enfants, garçons et filles, dans ces institutions religieuses. Les amérindiens qui sont sortis de ces lieux devinrent des âmes sans vie, des pères violents ou des mères alcooliques. La vulnérabilité vient en partie de là. Selon la commission, 4134 enfants sont morts dans ces pensionnats.
L’alcool touche aujourd’hui toutes les réserves indiennes de l’Amérique du Nord. Craig Johnson racontait en 2009 l’histoire d’une jeune femme cheyenne, malade du syndrome d’alcoolisme fœtal. Les réserves sont bien des prisons à ciel ouvert. Les préjugés font des indiens des êtres déclassés de la société américaine. La mise en réserve a parachevé le jugement de l’histoire.

Rick le père de Maisy, vit dans la communauté Mohawk des Six Nations. Il écrit à Emmanuelle ceci : « La dernière fois que j’ai vu Maisy…c’est tout à l’heure sur mon frigo ! Elle m’avait donné une photo d’elle bébé, moi la tenant dans mes bras…le plus beau cadeau qu’on m’ait fait, la photo est toujours là ! Je continuerai de vous envoyer des informations sur mon ainée quand je pourrai. Je ne réponds pas tout à coup, c’est difficile. Déjà vous m’avez fait pleurer. »

CG.