Monatte papillon! ( Les lectures de Tonton Charles)

Pierre Monatte, Lettres d’un syndicaliste sous l’uniforme 1915-1918, édition établie par Julien Chuzeville, Toulouse, Smolny, 2018, 114 p., 10 euros.

Figure majeure du syndicalisme français de la première moitié du XXe siècle, bien oubliée aujourd’hui, le correcteur d’imprimerie Pierre Monatte (1881-1960) est le fondateur de la revue bimensuelle La Vie ouvrière en octobre 1909. Celle-ci se proposait d’être une « revue intéressante et vraiment précieuse pour les militants ouvriers » sur le terrain du syndicalisme révolutionnaire.

Opposé à la guerre, Monatte est l’antithèse vivante de l’inamovible secrétaire général de la CGT de 1909 à 1947, Léon Jouhaux (1879-1954). Ce dernier, après un discours enflammé sur la tombe de Jaurès le 4 août 1914, annonçant qu’il partait se battre, non contre le peuple mais contre « l’impérialisme allemand », obtint un sursis d’appel, devint membre du Comité du Secours national, une institution où se retrouvaient autorités civiles et religieuses, et partit à Bordeaux avec le gouvernement. Bref, il joua un rôle de premier plan dans le ralliement du syndicalisme français à l’Union sacrée, à l’inverse des proclamations de ce dernier jusqu’aux derniers jours avant la déclaration de guerre.

Au contraire, Monatte y demeure opposé et c’est là que commence le livre avec, à la fin de 1914, sa fameuse « Lettre de démission du Comité confédéral de la CGT », première prise de position publique d’un syndicaliste contre le conflit. En conséquence, Monatte va se retrouver sous l’uniforme et dans les tranchées jusqu’à la fin de la guerre. La suite du volume est composée des lettres adressées principalement à sa compagne et à son ami et camarade, Marcel Martinet (1887-1944), également opposant de la première heure à l’Union sacrée. S’y ajoutent quelques lettres à Fritz Brupbacher (1874-1945), un médecin suisse proche du syndicalisme révolutionnaire. Il y a aussi un courrier à James Guillaume (1844-1916), le vieil internationaliste suisse et historien de la Première Internationale qui, démoralisé et diminué, n’échappe pas à la vague chauvine. L’ensemble se termine par un court extrait d’un article de Monatte dans La Vie ouvrière de novembre 1920 évoquant l’armistice de 1918 qui précise et anticipe sur l’avenir : « La paix venait après trop de ruines […] Ce ne pouvait pas être la vraie paix. »

Au fil de ces lettres, on découvre un personnage aussi lucide sur la situation que ferme dans ses convictions dans un contexte particulièrement difficile. Pour lui, comme il l’écrit à Martinet en mai 1915, « le pire est encore d’assister impuissant au carnage et au débordement de la bêtise ». Mais que ce soit dans son cantonnement de la Drôme, puis sur le front, il tente de garder le contact avec ses proches tout en essayant de suivre au plus près l’évolution de la situation grâce à la lecture des journaux et aux lettres de quelques camarades. « Mes seules joies, souligne-t-il, viennent des lettres qui tombent dans la pauvre vie du cantonnement. » Ce qui importe le plus, c’est de voir que le petit groupe de réfractaires à l’Union sacrée auquel il appartient fasse sa « petite besogne » : « Je suis sûr, prophétise-t-il, qu’un jour elle nous paraîtra moins vaine qu’elle ne nous semble aujourd’hui. »

CJ

Compte-rendu paru dans La Revue de PROMEMO (Provence, Mémoire et Monde ouvrier), n° 19, octobre 2018.

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