Daniel Guérin a été, durant un demi-siècle, de toutes les luttes de la gauche révolutionnaire, donnant, sur des sujets fondamentaux, quelques livres majeurs comme Fascisme et grand capital, Front populaire révolution manquée, La lutte de classes sous la première république ou encore L’anarchisme et l’anthologie Ni dieu ni maître qui annonçaient quelques années avant Mai 1968 le renouveau des idées libertaires. Parmi tous ces combats, Guérin a rappelé lui-même qu’il commença à s’émanciper de son milieu d’origine – la bourgeoisie dreyfusarde – à la suite d’un séjour de deux ans en Syrie et au Liban, puis d’un voyage en Indochine, tous deux entre 1927 et 1930, où il découvrit l’horreur du colonialisme.
Pourtant, Daniel Guérin n’a pas laissé une grande étude historique, théorique ou politique sur le colonialisme, mais seulement un volumineux recueil de ses nombreux articles de presse[1]. Cet ouvrage fut publié paradoxalement par un éditeur académique alors qu’il réunissait, pour l’essentiel, des articles de la presse militante. Il était consacré aux pays suivants : Algérie, Inde, Indochine, Madagascar, Maroc, Palestine, Polynésie, Tunisie.
Quelques années après, Guérin reprit uniquement la partie sur l’Algérie[2]. Le présent ouvrage est une réédition revue et augmentée de ce dernier, accompagné d’un avant-propos de Mohammed Harbi et d’une préface de Daniel Guerrier. Précédé d’extraits du « Manifeste du peuple algérien » de 1943 et d’un récit de voyage en Algérie de l’auteur en 1952, il évoque, en une succession rapide de courts chapitres clairs et enlevés, les origines du mouvement national algérien, puis les événements qui mènent à l’insurrection de 1954, les divisions internes du mouvement indépendantiste algérien, ses répercussions à Paris, l’engrenage d’une guerre qui ne veut pas dire son nom, ses drames et ses péripéties jusqu’à une indépendance inéluctable après une accumulation d’erreurs et de tragédies peu commune. Elle marque jusqu’à nos jours les peuples algérien et français.
Parmi les anticolonialistes de son temps, Guérin refusera de choisir entre le FLN et les partisans de Messali Hadj tout en restant l’ami de ce dernier. Il refusa d’idéaliser ou de soutenir sans réserve ni esprit critique les uns et les autres, adoptant comme seule boussole tout ce qui pouvait aller vers l’indépendance d’une Algérie socialiste. Il aperçut rapidement les dangers de la suprématie des militaires de l’Armée de Libération Nationale et d’une bureaucratisation du FLN. En conséquence, il sera aussi bien l’un des signataires du célèbre « Manifeste des 121 » qu’un des premiers critiques du pouvoir du FLN après l’indépendance, dès les illusions dissipées d’une improbable autogestion des usines et des campagnes sous l’égide d’un État-parti bureaucratique qui s’affirme et se renforce avec le coup d’État de Houari Boumediene en 1965.
Ainsi, « l’entière décolonisation » qu’il appelait de ses vœux, dépendait avant tout de « la renaissance d’un internationalisme révolutionnaire ». On en est aujourd’hui plus loin que jamais, mais que cela n’empêche pas de réaffirmer des principes sans lesquels toute prétendue libération n’est qu’une nouvelle forme d’oppression.
CJ
[1] Ci-gît le colonialisme, Mouton, La Haye – Paris, 1973.
[2] Quand l’Algérie s’insurgeait 1954-1962, la pensée sauvage, Grenoble, 1979.
Daniel Guérin, Algérie 1954-1965 – un combat anticolonialiste, Spartacus, Paris, 2017, 250 p., 14 euros.